Au détour d’un chemin, au pied d’un pieu à moitié dévoré par l’humidité et les insectes, un parterre naturel, une explosion de jaune vif, un buisson qui semble renvoyer le soleil aux yeux qui s’attardent sur lui… : un bouquet sauvage de crocus. Alors que le ciel s’assombrit (nous voici en l’automne) et que les jours diminuent, la froidure s’annonce, la nuit arrive tôt, l’ambiance sociale se noircit, le confinement pèse comme un couvercle sur les têtes… voici un bouquet éclatant, couleur du jour, couleur de soleil !

Ça m’a donné à réfléchir, notre vie en confinement, notre quotidien limité et terne, notre société fatiguée et sombre… Comme ce petit champ triste et en broussailles, pour beaucoup, les jours se succèdent, tristes et vides.
La couleur, la beauté ont-elles disparu de nos vies ? Qu’est-ce qui vient nous donner de la couleur ?

Attention !
Je ne veux pas parler de ce qui nous fait croire que nous sommes essentiellement et uniquement ‘consommateurs’…
Je ne parle pas de ce qui énerve car je le traduis comme limitation de ma liberté…
Non, je veux parler de ce qui, profondément, me fait me lever le matin. Un sourire un jour, une parole d’amitié, un geste d’amour, un regard confiant, cela ne s’achète pas, cela ne se mange pas. Et pourtant, comme la beauté, combien ça peut nourrir ! faire vivre ! renouveler l’Espérance !

Dans mon champ où les herbes sont desséchées, où l’hiver a commencé, des crocus ont poussé, joie colorée d’une vie qui éclot, qui explose. Au plus profond des injustices (attentats et autres), au fond des épreuves, dans le mirage des achats comme source de bonheur, l’espérance et la persévérance disent discrètement la force de la vie. Non, le mal n’est pas le dernier mot de notre route, la mort n’est pas la dernière étape de notre chemin.

Au contraire, à Nice, au jour et aux lendemains de l’assassinat de trois personnes dans l’église Notre Dame de l’Assomption, beaucoup ont exprimé leur foi et leur confiance en « Dieu qui ne nous abandonne pas » (P. Franklin Parmentier, curé de cette paroisse). Par un geste, une bougie allumée, une fleur déposée, par une prière, un recueillement quelle que soit sa religion, par un engagement auprès des malheureux, des précaires, dans la solidarité envers les plus fragiles : un monde nouveau s’éveille, ne le voyez-vous pas ?!

Voici que, nous dit Jésus, sont déposés dans nos mains des talents ; chacun a des dons, des capacités et des qualités, confiées à son intelligence et sa liberté. « Seigneur, Tu m’as confié des talents. Je les ai fait fructifier, je les ai développés. » Et le maître de la vie lui répond : « Très bien, serviteur bon et fidèle. Je te confierai encore plus. Entre dans la joie éternelle. »

Bernard BLONDAUX,
(Evangile de ce dimanche passé, selon saint Matthieu §25)

 

 

J'ajoute le texte d'un évêque, que j'ai beaucoup apprécié : Il rappelle la tradition, qui ne limite pas la vie chrétienne à la pratique du dimanche. Réfléchissons : comment vivre des relations "distanciées" qui soient fidèles à l'amour de Dieu et à l'amour concret, pratique des frères ?

 

L'évêque de Carcassonne & Narbonne 

Carcassonne, le 8 novembre 2020 

Chères sœurs et chers frères,


A l’issue de la conférence épiscopale qui vient de se tenir (par Internet) je vous fais parvenir plusieurs documents et j’ajoute à cet afflux de texte ma (trop ?) longue lettre.


Vous trouverez les déclarations de l’assemblée des évêques à propos de la situation en Haut Karabagh (appelé Artsak par ses habitants arméniens), une déclaration après les attentats de Nice, la déclaration du Conseil permanent sur l’échec du recours auprès du Conseil d’Etat pour reprendre le culte et le discours de clôture.


Le recours pour la reprise du culte a été interjeté par le Conseil permanent sans consultation préalable des évêques. Personnellement je n’y étais pas favorable pour plusieurs raisons. D’une part je pensais, rejoignant en cela l’archevêque de Poitiers et quelques autres, qu’il ne me paraissait pas inconsidéré que les catholiques s’associent à l’effort du pays en vue de préserver la santé de tous, le travail des personnels de santé et soient solidaires de ceux que ce second confinement met dans une situation de détresse économique. D’autre part le refus me paraissait prévisible pour les raisons qu’indique très bien le juge dans ses attendus. Enfin parce que les catholiques professent une foi qui leur permet de vivre, sans rien renier, ces situations de nécessité sanitaire. Ils l’ont souvent fait dans le passé au cours des nombreuses épidémies qui ont marqué notre histoire.


Le Conseil d’Etat envisage cependant une rencontre des divers cultes avec le gouvernement pour essayer de trouver un modus vivendi. Les pourparlers devraient se tenir bientôt. Mais la jauge des fidèles admis au culte s’annonce très basse : de l’ordre de 20 personnes. C’était d’ailleurs ce qui semblait prévisible si le recours avait été accepté.


Il est à noter que parmi les raisons invoquées par le Conseil d’Etat il y a le fait que nous ne respectons pas les règles sanitaires auxquelles nous nous étions engagées, il a été invoqué les nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux, notamment sur Youtube et Facebook. Respectons donc les règles actuelles en espérant pouvoir sauver des célébrations publiques à Noël.


Pour l’heure des églises demeurent ouvertes dans chacune de nos paroisses, les gens peuvent s’y rendre pour prier (qu’on soit très attentif aux règles sanitaires : port du masque, gel hydroalcoolique à l’entrée et à la sortie, distanciation). Nous pouvons nous référer pour le reste à la déclaration que j’ai faite au début de ce reconfinement. Soyons inventifs et restons reliés.


Le Père Gustavo Pez m’a fait connaître une interview du (nouveau) cardinal Mario Grech parue dans La Civiltà cattolica du 3 octobre dernier. J’y ai retrouvé, avec bonheur, le fond même de ce que je pense. En attendant qu’elle paraisse en français je vous en livre quelques extraits :


« Si nous accueillons cela [les maisons devenue des refuges, les rues vidées, la célébration publique de la liturgie impossible] comme une opportunité, cela peut devenir un moment de renouveau. La pandémie a mis en lumière une certaine ignorance religieuse, une pauvreté spirituelle. Certains ont insisté sur la liberté du culte, mais peu ont parlé de la liberté dans le culte. Nous avons oublié la richesse et la variété des expériences qui nous aident à contempler le visage du Christ. Quelqu’un a même dit que l’Eglise était interrompue ! Et ça c’est vraiment incroyable. Dans la situation qui empêchait la célébration des sacrements nous n’avons pas saisi qu’il y avait d’autres moyens à travers lesquels nous avons pu faire l’expérience de Dieu.


Dans l’Evangile selon Jean, Jésus dit à la Samaritaine : « […] L’heure vient -et c’est maintenant- où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père » (Jn 4, 21-23). La fidélité du disciple à Jésus ne peut être compromise par le manque temporaire de la liturgie et des sacrements. Le fait que de nombreux prêtres et laïcs soient entrés en crise parce que, de fait, nous nous sommes trouvés dans la situation de ne pas pouvoir célébrer l’Eucharistie coram populo est de soi très significative.


Pendant la pandémie un certain cléricalisme a émergé, même sur les réseaux sociaux. Nous avons assisté à un degré d’exhibition et de piétisme qui tenait plus de la magie que de l’expression d’une foi mature.


Quand le temple de Jérusalem, où Jésus priait, a été détruit, les juifs et les païens, n’ayant plus le temple, se sont réunis autour de la table de famille et ont offert les sacrifices avec leurs lèvres et la prièAutre de louange. Quand ils n’ont plus pu suivre la tradition, les juifs comme les chrétiens ont pris en main la Loi et les Prophètes et les ont réinterprétés dans un mode nouveau. C’est là le défi aussi pour aujourd’hui. […]


L’expérience que nous avons vécue nous contraint à ouvrir les yeux sur la réalité que nous sommes en train de vivre en Eglise. Nous devons réfléchir pour nous interroger à propos de la richesse des ministères des laïcs dans l’Eglise, comprendre comment ils se sont exprimés. A quoi sert la profession de foi si ensuite cette foi ne devient pas un levain qui transforme la pâte de la vie ? […]


Je trouve curieux que beaucoup se soit lamenté sur le fait de ne pouvoir recevoir la communion et célébrer les funérailles à l’église, mais qu’ils ne soient pas, de la même façon, préoccupés de savoir comment se réconcilier avec Dieu et avec le prochain, comment écouter et célébrer la Parole de Dieu et comment vivre le service. […] Beaucoup sont encore analphabètes de l’Evangile »


Il est indéniable que l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne […] cependant l’Eucharistie n’est pas l’unique possibilité pour le chrétien de faire l’expérience du mystère et de rencontrer le Seigneur Jésus. Elle est très exacte l’observation de Paul VI qui écrit que dans l’Eucharistie « la présence du Christ est "réelle" non à titre exclusif comme si les autres présences n’étaient pas réelles ». C’est pourquoi il est préoccupant que, hors du contexte eucharistique ou cultuel, on se sente perdu parce qu’on ne connaît pas d’autre façon de s’accrocher au mystère. Cela indique non seulement qu’il existe un analphabétisme spirituel mais prouve l’inadéquation de l’actuelle pratique pastorale. Il est fort probable que, dans un passé récent, notre activité pastorale a plus cherché à initier aux sacrements qu’à initier -à travers les sacrements- à la vie chrétienne ».


Restons donc reliés au Seigneur et entre nous, portons-nous les uns les autres par la prière, redécouvrons la joie de méditer et de partager les Ecritures, gardons confiance « l’épreuve n’a qu’un temps » !


Fraternellement,

+ Alain Plane